L’écologie en politique : tout pour plaire, rien pour gagner

Longtemps portées à bout de bras par une poignée de militants opiniâtres, les thématiques environnementales ont finalement conquis le cœur des débats politiques. Mais devenue l’affaire de tous, l’écologie est aussi l’objet de multiples récupérations.

« Et d’abord, ce mot nouveau pour beaucoup d’entre vous : l’écologie. Qu’est-ce que c’est ? ». Ce soir du 18 avril 1974, plusieurs millions de téléspectateurs postés devant l’ORTF reçoivent leur toute première leçon d’écologie politique. Le professeur n’est autre que René Dumont, premier candidat « vert » à une élection présidentielle tricolore : lunettes noires, pull rouge vif et verre « d’eau précieuse » à la main. Il se veut d’abord pédagogique – « l’écologie, ce n’est pas un mot gadget inventé pour les besoins de cette campagne » –, mais s’embarque vite dans une explication encyclo-prophétique mélangeant la biologie d’Haeckel, les « nuages de pollution », « les menaces de notre expansion illimitée » ou encore l’apocalypse « déjà là, parmi nous ». Ses cheveux blancs et son air halluciné lui vaudront très vite les surnoms « d’Einstein dégingandé » ou de « zouave du pont de l’Alma » (où se trouve son Q.G. de campagne). En revanche, il faudra un peu plus de temps avant que le contenu de son « projet global d’avenir » ne révèle toute sa portée historique. Du reste, le premier véritable parti écologiste, Les Verts, ne naîtra que 10 ans plus tard.

LE TERRAIN AVANT L’ISOLOIR

« L’écologie de l’époque est d’abord une écologie des luttes avant d’être une écologie des urnes », explique Arthur Nazaret, journaliste politique au Journal du Dimanche et auteur d’Une histoire de l’écologie politique (Tengo, 2019). René Dumont le dit lui-même : il a été « choisi par 50 associations environnementales, représentant plus de 100 000 adhérents répartis à travers la France ». Ce sont avant tout leurs combats de terrain qui ont permis de médiatiser les sujets, tout en participant à forger un corpus idéologique nouveau. « Le premier creuset du mouvement est la lutte contre le nucléaire », explique Arthur Nazaret. On se bat à Bugey en 1970, à Fessenheim en 1971, à Creys-Malville en 1976 ou encore à Plogoff, à partir de 1978. « La critique ne porte pas tout de suite sur les dangers du nucléaire, mais sur ce que cela implique en termes de contrôle de la société par un État technocratique », précise-t-il. Profondément pacifistes, les écologistes sont également anti-étatistes et libertaires. Ils l’expriment dans le Larzac, dès 1971, aux côtés des paysans en lutte contre l’extension d’un camp militaire. En 1974, ils installent la première Zone à défendre (ZAD) de France et stoppent la construction d’une usine de plomb à Marckolsheim, en Alsace.
Un deuxième point central qui soude profondément les écologistes est la critique du productivisme héritée des penseurs « non conformistes » des Trente Glorieuses tels que Bernard Charbonneau, Jacques Ellul ou André Gorz. Non conformiste, l’idée l’est, assurément. Elle est même quasi révolutionnaire pour l’époque ! « Le discours productiviste est ultra-dominant, à droite comme à gauche », insiste Simon Persico (promo 14), politologue spécialiste de l’écologie politique. « S’y opposer est alors d’une radicalité extrême », rappelle-t-il.
Au-dessus de ces deux piliers fondateurs, la famille écologiste structurera ensuite un joyeux « mille-feuille politico-culturel », fait d’influences croisées entre des militants naturalistes et des nébuleuses soixante-huitardes, comme l’explique l’écologiste Pierre Serne dans son livre Des verts à EELV, 30 ans d’histoire de l’écologie politique (Les Petits Matins, 2014).

DES RADICAUX BIEN PRAGMATIQUES

Au cours de la décennie 1980, la petite tribu se laisse toutefois gagner par un pragmatisme certain. « Antoine Waechter s’est rendu compte qu’ils […]


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